1978

Cosmos 954 et l’opération « Lumière du matin »

C’est à 4 h 40 du matin, le 24 janvier 1978, que le satellite soviétique russe Cosmos 954 entame sa descente fulgurante dans l’atmosphère terrestre au-dessus des îles Hawaï. Repéré pour la première fois par l’observatoire du mont Haleakala à Maui, le satellite à propulsion nucléaire se dirige tout droit vers les Territoires du Nord-Ouest. Quinze minutes plus tard, Cosmos 954 est repéré par deux agents de la GRC. Ils disent avoir vu une boule de feu rouge vif traverser le ciel au sud de Yellowknife; elle perdait de petits morceaux qui descendaient en vrille vers le sol.

La chute de ce satellite n’est pas une surprise. Peu après son lancement le 18 septembre 1977, son orbite était devenue instable, et certains s’étaient mis à craindre qu’il puisse frapper une zone densément peuplée et décimer des centaines de milliers de gens! Bien que cette tragédie soit peu probable, on craint alors, à juste titre, une contamination radioactive de l’endroit où le satellite sombre.

Lorsque Cosmos 954 vole en éclats, les débris s’éparpillent depuis le bras est du Grand lac des Esclaves, presque jusqu’au nord-est du lac Baker. Personne ne sait si le cœur du réacteur nucléaire à bord du satellite a entièrement brûlé lorsqu’il a pénétré l’atmosphère ou s’il a contaminé une grande partie des Territoires du Nord-Ouest.

Les militaires canadiens et américains unissent leurs forces et lancent l’opération « Lumière du matin », consistant à partir à la recherche de débris radioactifs. L’une des premières tâches est de dénicher d’éventuels signes de radiation à Yellowknife. Vingt-cinq membres de l’équipe de soutien en cas d’accident nucléaire se rendent à Yellowknife dans la soirée du 24 janvier. Vêtus de combinaisons antiradiations jaunes et de masques à gaz et munis de compteurs Geiger, ils effraient les résidents, mais ne trouvent heureusement aucun signe de radiation dans la ville.

L’étape suivante consiste à déterminer si la désintégration de Cosmos 954 a créé un nuage radioactif susceptible de dériver vers des zones surpeuplées. Les Américains disposent d’un avion-espion U2 spécialement équipé à cet effet qui survole le trajet du satellite en désintégration; là encore, aucune radiation n’est décelée.

Dans la journée qui suit la rentrée du satellite dans l’atmosphère, d’autres avions et hélicoptères équipés pour les besoins de la cause recherchent des matières radioactives au sol le long d’une bande de 50 kilomètres de large commençant à 80 kilomètres au sud-est de Yellowknife et allant jusqu’à 800 kilomètres au nord-est du lac Baker. Ils passent au peigne fin une zone de 40 000 kilomètres carrés, et le premier « impact » radioactif est enregistré le 25 janvier, à 300 kilomètres au nord-est de Yellowknife. Il est rapidement suivi d’un autre « impact » sur la glace du Grand lac des Esclaves, juste à l’embouchure de la rivière Hoarfrost.

La nouvelle du retour de Cosmos 954 et la découverte de matériaux radioactifs au sol des Territoires du Nord-Ouest font la manchette des journaux du monde entier. Le 28 janvier, la station météorologique de Yellowknife reçoit un message radio qui suscite bien de l’émoi, en provenance d’un chalet situé à Warden’s Grove, sur la rivière Thelon. Six hommes y séjournant ont trouvé des morceaux de métal, qui font partie du satellite, dépassant de la surface de la rivière Thelon.

Après plus d’un mois de recherches au cours desquelles ils n’ont trouvé que des morceaux de métal radioactif près du cœur du réacteur, les militaires commencent à déceler de fines particules de matière fissile radioactive provenant du cœur du réacteur dans une région située au sud de la zone de recherche initiale. D’après le schéma de dispersion, il est évident que le cœur du réacteur n’a que partiellement brûlé et que 80 000 kilomètres carrés de terres à l’est de Hay River ont reçu une légère poussière de matière hautement radioactive.

À l’aide de détecteurs aériens sensibles, les militaires localisent et récupèrent les morceaux les plus importants, dont un de quelques centimètres de long qui aurait rapidement tué toute personne qui y aurait été exposée à tout moment. À la mi-mars, tous les morceaux détectables avaient été ramassés, mais les militaires continuent à surveiller la situation tout au long de l’été et de l’automne 1978.