1981

Le bateau en peau d’orignal

L’arrivée des marchands de fourrures dans la vallée du Mackenzie, au XIXe siècle, bouleverse la vie des Shuhtaot’ine (Dénés des montagnes). Les postes de traite de fourrures de Tulita (Fort Norman), Fort Good Hope, Fort Simpson et Fort Liard deviennent des lieux d’importance : chaque année, de la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1950, les Dénés des montagnes quittent les monts Mackenzie pour s’y rendre à bord d’immenses bateaux en peau d’orignal.

Les Shuhtaot’ine se seraient inspirés des barges de York, bateaux à la conception simple utilisés par les marchands de fourrures, pour mettre au point ce nouveau type d’embarcation plus adaptée à la navigation sur les rivières de montagne. Mesurant généralement 14 mètres de long (46 pieds), les bateaux en peau d’orignal se composent de matériaux locaux : le squelette en bois d’épinette est recouvert de peaux d’orignaux brutes, cousues ensemble à l’aide de tendons.

Ces larges bateaux sont construits chaque année, au début de l’été, sur les hauts plateaux des montagnes, où se trouvent les camps d’hiver. Ils servent ensuite à transporter personnes, chiens, viandes, fourrures et autres biens le long des rivières impétueuses qui s’écoulent des montagnes jusqu’au fleuve Mackenzie, puis jusqu’aux postes de traite.

Conçus pour un usage temporaire, les bateaux sont démontés après le voyage. Les peaux d’orignaux sont alors tannées, afin de servir à la confection d’habits et d’autres objets. Toutefois, à la fin des années 1950, les bateaux en peau d’orignal ont presque totalement disparu de la culture des Dénés des montagnes; seuls quelques rares aînés savent encore les bâtir.

En 1981, Raymond Yakeleya, de la Société des communications autochtones, sollicite Gabe Etchinelle, de Tulita, avec l’idée de recréer un bateau en peau d’orignal et d’en filmer le processus. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles (CPSPG) et l’Office national du film du Canada (ONF) participent notamment au financement du projet.

La construction du bateau est déléguée aux aînés de Tulita et de Délı̨nę, sous la supervision de Gabe Etchinelle, tandis que les réalisateurs Raymond Yakeleya et Bill Stewart se chargent de filmer cette épopée, de même que la vie de tous les jours au camp et l’odyssée du bateau, depuis la source de la rivière Keele jusqu’à Fort Norman. C’est ainsi que paraît, en 1981, le documentaire « The Last Mooseskin Boat » (Le dernier bateau en peau d’orignal), appuyé par l’ONF.

En remerciement de sa contribution, le CPSPG se voit offrir le bateau, qu’il ajoute à sa collection permanente. Après un an de traitement de protection, l’ouvrage quitte la réserve afin d’être exposé dans une galerie à atmosphère contrôlée.

En dépit de ce que laisse entendre le titre du documentaire de 1981, de tels projets de répliques se poursuivent dans les régions du Dehcho et du Sahtu. En effet, en 2008, un bateau est construit à Tulita, et en 2018, un bateau est mis à flot sur la rivière Nahanni, dans le cadre d’une initiative de réconciliation visant à unir, guérir et inspirer tous les participants.