1931

Le trappeur fou de la rivière Rat

Le 9 juillet 1931, un homme se faisant appeler Albert Johnson se rend à Fort McPherson et s’approvisionne au magasin Northern Traders. La Gendarmerie royale du Canada surveille de près cet étranger, un homme peu loquace et de nature secrète. Le 21 juillet, le gendarme Edgar Millen interroge Albert Johnson pour savoir qui il est et d’où il vient. L’agent Millen conclut de ses réponses évasives que M. Johnson souhaite qu’on le laisse tranquille, comme beaucoup d’autres étrangers venus du sud. Une semaine plus tard, M. Johnson disparait en remontant la rivière Rat toute proche.

Le jour de Noël de l’an 1931, William Nerysoo se rend au poste de la GRC à Tsiigehtchic pour signaler que M. Johnson a trafiqué ses lignes de piégeage. Au cours de l’enquête portant sur ces accusations, la GRC rencontre Albert Johnson à trois reprises à son chalet de la rivière Rat. Lors de la première rencontre, le 26 décembre 1931, M. Johnson refuse de parler à l’agent King et au gendarme spécial Joe Bernard, ces derniers se rendent donc à Aklavik pour obtenir un mandat de perquisition. Cinq jours plus tard, munis de ce mandat, quatre agents de la GRC, ainsi que les gendarmes spéciaux Joe Bernard et Lazarus Sittichinli, se rendent une deuxième fois sur les lieux et encerclent le chalet de M. Johnson. Lorsque l’agent King s’en approche, M. Johnson tire à travers la porte et le blesse. Le gendarme spécial Bernard déplace l’agent King pour le mettre en sécurité. Débusqués et avec un agent blessé parmi leurs rangs, les gendarmes retournent à Aklavik.

La troisième rencontre, un siège de 15 heures, a lieu le 9 janvier 1932, lorsqu’un groupe beaucoup plus important et mieux approvisionné de bénévoles locaux, de gendarmes spéciaux et d’agents de la GRC encercle le chalet d’Albert Johnson. Ils tirent des centaines de coups de feu sur le chalet et utilisent de la dynamite pour faire sauter une partie du toit. M. Johnson reste campé dans sa forteresse. À court de fournitures et de nourriture pour les attelages de chiens, la GRC retourne une fois de plus bredouille à Aklavik.

Grâce à la station du Corps royal canadien des transmissions à Aklavik, la nouvelle de la confrontation avec Albert Johnson et de la blessure de l’agent King se répand jusqu’au sud du pays. L’histoire fait la une des journaux, et Johnson ne tarde pas à devenir le « trappeur fou de la rivière Rat ».

Le 16 janvier 1932, les agents de la GRC, flanqués du gendarme spécial Sittichinli et de bénévoles civils, établissent un camp de base à 15 kilomètres du chalet de M. Johnson. Entre-temps, M. Johnson s’t enfuit, on lance donc des équipes de recherche à ses trousses. Les Gwich’in procurent une grande partie des fournitures. L’un de ces groupes de recherche, dirigé par l’agent Millen, croise la piste de M. Johnson et le coince dans un bosquet. S’ensuit une fusillade qui coute la vie à l’agent Millen, et Johnson s’échappe.

Après la mort de M. Millen, la GRC demande qu’un avion se joigne aux efforts de recherche. Wop May, pilote de Canadian Airways, et Jack Bowan, mécanicien d’avion, s’envolent vers le nord pour prêter main-forte à la GRC. La forêt entre le delta du Mackenzie et les monts Richardson grouille alors de trappeurs locaux et d’autres pisteurs. Aux commandes de son Bellanca, Wop May parvient à distinguer les traces de chacun d’entre eux dans les vallées du versant est des monts Richardson. Wop May se rapproche de M. Johnson le 9 février 1932, lorsqu’un blizzard donne à ce dernier le temps de traverser les montagnes pour rejoindre le Yukon. Le 14 février, Wop May repère les traces d’Albert Johnson sur la rivière Bell et les suit jusqu’à ce qu’elles bifurquent vers le sud en remontant la rivière Eagle.

La police et les gendarmes spéciaux se lancent à sa poursuite en traîneau à chiens, et le 17 février, plus d’un mois et demi après la blessure du gendarme King et plus de deux semaines après le meurtre de l’agent Millen, Albert Johnson est tué au cours d’une fusillade sur la glace de la rivière Eagle, le coup de feu ayant été tiré par le gendarme spécial John Moses. L’histoire, suivie par la radio et la presse écrite, suscite un engouement international et contribue à rehausser l’image des audacieux pilotes de brousse et agents de la police montée des TNO. Ce n’est que récemment que le rôle des gendarmes spéciaux dans cette histoire a été souligné.